Pacha K’anchay
28 juillet 2013, par
, Ruta Nacional 20, kilometro 4.5, Provincia de Salta, ArgentinaNous avons passé une semaine à faire du woofing à Pacha K’Anchay, un chantier de bio-construction perdu dans la forêt.
Los Bolivianos
Nous avons pris un bus de Salta direction... rien, mais loin vers l’est parce que le bus en semi-cama devait coûter dans les 120 Pesos par personne. Au bout d’environ deux heures, le chauffeur s’arrête au milieu de toujours rien et nous signifie qu’on est arrivé, El Paso de la Cruz, dit-il.
Il y a un chemin qui croise la route où le bus nous a laissé. Les piles de ma lampe viennent de lâcher, quelques croix de bois plantées anarchiquement dans la terre semblent délimiter un cimetière, la lune est pleine, nous décidons de remonter le chemin.
Par une sombre nuit d’hiver, dans la nature la plus sauvage du continent sud-américain, soudain, un bruit de pas, la bête a commencé sa traque. Invisible dans la pénombre de la forêt, seuls le craquement de l’herbe sèche, le mouvement des branches indiquent sa sinistre présence. Elle tourne, elle nous a entendu, on la sent, elle s’approche.
La chose sort de l’ombre, prête à se fondre sur sa proie, lorsqu’un rayon de lune éclaire son visage lugubre, des énormes narines, une fourrure sombre, des cornes acérées... c’est une vache.
Une petite heure plus tard, en suivant le chemin, évitant tant bien que mal les bouses de vaches, en haut d’une butte : une lumière et des éclats de voix.
Nous sommes arrivés au milieu de la nuit, sans lumière, guidé par les étoiles, Domitille avec son chapeau de Cholita, moi avec mon bonnet péruvien, comme il y avait déjà des français, on nous a vite surnommé Los Bolivianos.
Hip’ Hip’
A notre arrivée, il y avait plein de woofers, Marian, Bochi et leur fils Émiliano. Ça joue de la guitare et du tambour, ça chante en castillano en ukrainien et en portugais, grande tablée, bouteilles de malbec, on est accueilli à bras ouverts.
Balade en forêt, chants au coin du feu, domitille devient hippie, elle ramasse des plumes, tape des mains et peint même des mantras indiens [1] sur bouts de bois que j’accroche sur les arbres le long du chemin qui mène à rien pour que ces connards de hippies aillent se perdre dans la forêt... oups, pardon.
Bio-construction
Pacha K’Anchay n’est pas vraiment une ferme écologique à proprement parler, il y a bien quelques poules, quatre salades et quelques plantes aromatiques, mais pas véritablement de pluri-culture. On se nourrit principalement des courses qu’a fait Marian à Salta. Des énormes paquets de pâtes et de riz auquel on agrémente moult légumes (du marché de salta), viandes et épices.
Marian, son mari El Bochi, tous deux sont médecins à Salta, avec Cristina (une copine), Alberto (son frère) et Pirucho (un copain d’Alberto), ils ont acheté des terres (environ 500 ha de forêts) et ils ont entrepris de construire dans ce lieu reculé un lieu d’accueil touristique (je n’ai pas précisément compris quoi, une sorte d’hôtel/chambre d’hôtes je pense).
Il y a 3 ouvriers quasi-permanents : Alberto (alias El Turco), Pirucho (alias Piru) et Walter (alias El Gringo), un gars du coin, et ça s’entend bien à son accent.
Depuis 5 ans, ce petit monde, aidé de woofers construisent un grand bâtiment et ses dépendances en utilisant au maximum les matériaux du coin. La structure est en béton et le toit en fibre de verre, le reste du bâti utilise principalement de la terre mélangée à de la matière organique.
Voici une sélection de quelques recettes, à adapter selon le sol, l’environnement, la qualité de l’argile et le poids des chevaux.
La mescla de base qui sert à presque tout, à faire les murs et à recouvrir les pierres.
- 8 mesures de terre argileuse ramassée près du ruisseau et passée au gros tamis
- 5 mesures de sable fin, tamisé finement, sic.
- 1,5 mesure de paille
- 1/2 mesure de crottin de cheval écrasé et finemnt tamisé pour ne garder que quelques morceaux d’herbe et le maximum de liant contenu dans les sucs digestifs de l’animal.
- 3 à 4 mesures d’eau
Ne pas hésiter à bien mouiller et à garder bien humide pendant au moins 3 jours pour que les petites mottes se désagrègent.
Le liant se fait avec
- 1 mesure de farine
- 4 mesures d’eau chaude
- 2 mesures d’eau froide
La mescla fina, celle qui sert à faire notamment les enduis extérieurs.
- 1 mesure de jus de cactus
- 7 mesures de terre argileuse
- 3 mesures de crottin de cheval (tamisé, blablabla)
Laisser reposer une 10aine de jours, puis ajouter pour une mesure de liant, 2 mesures de sable.
On peut aussi combiner cette mescla avec d’autres éléments pour obtenir d’autres résultats, d’autres utilisations. Ça donne un peu l’impression de jouer à minecraft, on combine des éléments pour fabriquer des trucs.
Nos principales activités ont été : élaborer de la mescla ou préparer les ingrédients et l’appliquer.
Pour la préparation, il s’agit de tamiser du sable, récolter de l’argile et la tamiser, broyer du crottin (si possible en dansant) et le tamiser. Oui, on passe beaucoup de temps à tamiser.
Pour ce qui est l’application de la mescla fina sur les murs, ça consiste à tapisser les sol de journaux et appliquer très soigneusement a l’aide d’une petite languette de plastique sur les surfaces arrondies des murs, frotter beaucoup, beaucoup, pour que ce soit lisse et qu’il n’y ait pas trop d’épaisseur.
Curieusement, Domitille s’est trouvée très à l’aise pour danser sur de la merde [2], et moi j’étais plus enclin à l’appliquer sur les murs et les journaux [3].
Au vert
Il y a environ 4 km jusqu’à la route 9 et de là, il faut compter 40 km jusqu’au petit pueblo de Lumbrera. Il n’y a de raccordement ni à l’eau, ni à l’électricité, ni au téléphone. Les téléphones cellulaires ne captent pas, nous voilà isolés.
C’est calme, c’est en pleine nature, on voit Toucans, Pava del Monte, Perroquets, tiques et moustiques.
On tombe pendant la vague polaire qui remonte l’Argentine et qui ira jusqu’au Brésil, au Nord. A cette latitude, ça se traduit par des températures légèrement en-dessous de zéro. Dans l’absolu, ce n’est pas grave, mais le problème, c’est que le bâti n’est pas du tout prêt, que la cuisine est ouverte aux quatre vents et qu’à la nuit tombée on s’aglutine contre le feu de la cuisinière pour se réchauffer. Heureusement, il y a des douches chaudes.
El Turco
Dès l’arrivée de Turco, le rythme de travail s’est sérieusement corsé, on est passé de petites journées tranquilles à un vrai rythme de 8h par jour avec des travaux plus pénibles et plus longs. On travaille durant quasiment toute la durée d’ensoleillement avec une pause pour déjeuner.
On fait les manœuvres sur le chantier, sauf que je ne pense pas que ce soit le concept initial du woofing. Dans ce cas, c’est plutôt de l’apprentissage, et l’apprentissage, c’est rémunéré.
Faire du bénévolat, je suis d’accord si c’est pour construire une école, un lieu communautaire qui permet le développement d’infrastructures (bibliothèque, hôpital, coopérative agri...), pour le développement rural ou pour sauver les bébés chats. En revanche, utiliser des woofers pour construire un bâtiment qui va assurer les vieux jours d’une famille aisée de Salta, je suis un peu moins d’accord.
Cette première expérience de woofing est mitigée, je ne trouve pas que le bâtiment soit adapté à cette activité ou en tous cas, pas dans cette forme. Je pense que c’est l’idéal pour un ado qui n’a jamais vu pousser une salade, n’a jamais tenu une pelle et n’a jamais été scout. Pour ma part, je suis prêt à retenter l’expérience, mais pas dans les mêmes conditions.
Vos commentaires
# Le 29 juillet 2013 à 11:37, par florian En réponse à : Pacha K’anchay
Il faudrait que Domitille nous fasse une petite illustration de la recette du crumble au crotin de cheval ^^
Sinon effectivement rien qu’aux photos on sent que les conditions ne sont pas terribles O.o
# Le 1er août 2013 à 14:17, par Evita En réponse à : Pacha K’anchay
Vu ce que vous avez mangé, heureusement qu’ils sont médecins !
# Le 1er août 2013 à 21:19, par Mamadeldulce En réponse à : Pacha K’anchay
Ha ha ha Gaspard, ta description est savoureuse, même si on sent une certaine tension dans tes propos... On dirait " les randonneurs en Argentine " ! Je crois en effet que vous vous êtes fait rouler ! Mais c’est quand même drôle vu de loin....